On se rappelle tous du procès du Carlton qui a jeté une lumière crue sur le marché particulier de la prostitution, l'escorting. Témoignage poignant d'une ancienne Escort Girl.
Souvent, elle porte les mains à son visage, ravale une grimace et puis se redresse, esquisse un sourire malgré tout.
Rester agréable en toutes circonstances : voilà une déformation professionnelle dont on ne se sépare pas si facilement quand on a comme Léa*, vendu non seulement son corps mais aussi sa compagnie, qui, pour « ces messieurs », se doit d'être toujours accorte, enjouée, cultivée. Malgré la douleur, c'est « avec plaisir », jure-t-elle, que Léa, 35 ans, frêle jeune femme aux traits fins et à la peau noire ébène, accepte de se livrer sur son passé d'escort.
Le matin, Léa emmène son fils à l’école. Puis elle file au travail. Un job dont elle tait le nom à ses proches : Escort Girl. Derrière ces deux mots qui paraissent anodins, se cache une forme de prostitution, loin des trottoirs et des maquereaux.
« On est comme des marionnettes mais au lieu des ficelles, ce sont les billets qui nous tiennent. » Puis, résume en un mot ce qui l’a amenée à devenir escort : la précarité.
Etudiante en deuxième année de droit, elle cumulait les jobs étudiants pour financer ses études. Elle avait un copain comme toutes les jeunes filles de son âge. Mais voilà que tout bascule, à 22 ans, elle tombe enceinte, son compagnon l’abandonne, la laissant seule face à son destin.
« J’ai démarré tout simplement en postant une annonce sur le net. Mon fils devait avoir de quoi se nourrir au quotidien, j’avais un loyer à payer, j’étais constamment à découvert et les factures s’accumulaient, … J’ai décidé de me sacrifier.»
Avec deux à trois rendez-vous par mois, « un verre, un dîner et parfois plus », dit-elle énigmatique, elle pouvait vivre convenablement et même offrir à son fils des activités extrascolaires et autres voyages. Sa vie ? Du champagne et des tables étoilées, des vêtements de luxe, certes, mais lui revient aussi en mémoire un épisode au goût amer. « J’ai dû faire quelque chose que je ne voulais pas, je n’étais plus une femme libre. Je me bats jusqu’aujourd’hui pour constituer une épargne suffisante pour que mes enfants ne fassent pas ce que j’ai dû faire. »
Son premier client ? Léa s’en souvient, un parfait gentleman, la petite trentaine diplomate étranger, la sort dans des soirées luxueuses, la couvre de cadeaux. Le scénario se répète à l'identique avec un autre, mais celui-ci en veut plus. Lorsqu'elle se réveille dans les suites des plus grands hôtels, au matin, une enveloppe l'attend sur la table de nuit plus généreuse que l’offre verbalisée sur son annonce. Léa se confie « Bien plus que l'argent, j’aimais les attentions, leur affection.» Elle laisse entrevoir dans ses propos une solitude abyssale.
Les clients s'enchaînent « de plus en plus violents, dit-elle, parce qu'ils ont payé et estiment qu'ils font ce qu'ils veulent ». Jusqu'à ce jour de 2013 où Léa est séquestrée et violentée. Un point de non-retour. Elle contacte alors les équipes d'action contre le proxénétisme (EACP), qui l'accompagnent depuis. « C'est grâce à eux que j'ai réussi à vivre ».
Aujourd'hui, Léa vit du RSA, lutte contre de graves problèmes de santé, héritage de son passé d'escort, et a fait une croix sur toute vie sentimentale. Son constat est sans appel. « Vous savez, soupire-t-elle, quand les lumières s'éteignent et que les paillettes retombent, il n'y a plus rien. Au final, tous ces hommes abusent de notre faiblesse. »
*Le prénom a été changé