Je ne réponds pas à sa question et me contente de hausser les épaules. Je n'ai plus envie de
passer une seule seconde en sa présence, je quitte la cuisine sans un mot la laissant seule face à son
café trop chaud, sûrement perdue dans des pensées théologiques qui me dépassent. J'allume mon
ordinateur et je fais ce que je ne devrais pas faire. J'inspecte ma timeline Twitter pendant vingt
bonnes minutes. Manifpourtous par-ci, manifpourtous par-là. Je me sens mal, j'ai la haine. Voilà,
c'est gagné, ils ont gagné, je les maudis tandis que leur climat d'animosité m'envahit.
J'en ai tellement assez que je sors de mes papiers brouillons un vieux tract d'une
manifestation pour l'égalité. J'esquisse un sourire naïf en tentant de le repasser avec la main droite.
Je prends quatre punaises et décide de m'atteler à l'accrocher au-dessus de mon lit. Ça ne sert
concrètement pas à grand chose mais c'est la seule façon que j'ai trouvée pour me calmer. Tandis
que je rassemble mon attirail, je tente de me rationaliser en me répétant que « au moins SI elle est
actuellement dans cet appartement avec toi, c'est DONC qu'elle n'est pas dans le cortège de la honte »
Ouais, ça le fait plus quand c'est Aristote qui le formalise.
Je monte sur mon lit ; c'est évidemment à ce moment que ma colocataire décide de faire
irruption dans ma chambre. Il faut dire que le spectacle vaut le détour, un flamant rose (ou bleu qui
sait) les bras tendus vers le ciel essayant tant bien que mal d'accrocher un vieux prospectus dans un
mur trop épais. Elle me dévisage et s'approche de moi. Cette fois-ci, c'est la bonne, je le sens, elle
va faire le commentaire de trop - homophobe ou raciste qui sait - je vais m'énerver et on va
s'engueuler, s'engueuler tellement fort qu'on entendra que nous, elle me traitera de conne de
féministe, je la qualifierai de conne d'intégriste et on partira fâchées et nos orgueils respectifs nous
empêcheront de nous rappeler et on ne va plus jamais se parler et elle ne me fera plus jamais de
potage de courge butternut, oui cette fois-ci, c'est la bonne, je le sens.
« Ça te dit pas qu'on aille faire une balade en forêt ? »