Ce matin là, j'avais une tonne de chose de prévue: un article à
écrire sur les sex-toys en vogue, les lettres de remerciements à envoyer
aux acteurs ayant répondu à notre interview et me faire inviter par
Thomas au café. Journée chargée. Je démarrai donc au chapeau de roue,
frottant mes yeux mi-clos et me servant un thé pour réveiller mon corps
embrumé. Je rapprochai le clavier, commençai mes recherches sur Google
et fut interrompue par Gertrude qui entrait dans le bureau, en furie. "Je ne suis plus vierge"
me cria-t-elle, s'importunant peu du stagiaire qui était dans le même
bureau que nous. Je relevai immédiatement la tête de mon écran, surprise
d'entendre de telles absurdités. Gertrude n'était plus vierge depuis un
moment. Malgré son physique peu attrayant, elle avait aisément trouvé,
lors d'une soirée étudiante, quelques années auparavant, un étalon prêt à
kidnapper son bijou.
Mais rien n'y faisait, elle s'obstinait à
hurler la perte de sa virginité à qui voulait l'entendre. Elle se jeta
dans son fauteuil que je cru détruit sous le poids de l'impact, éjecta
son sac à main par dessus le bureau et commença à me conter cette longue
histoire. Elle me parla d'une rencontre lors de la soirée du nouvel an,
un jeune homme étudiant en 5eme année de droit, qu'elle ne quitta plus
dès qu'ils échangèrent leur premier regard. Il n'essaya ni de coucher
avec elle, ni même de l'embrasser. Il n'en avait sans doute pas envie.
Un gentleman. Puis, elle continuait, me détaillant les soirées qui ont
suivies. Le premier bisou, le premier fou rire et la première visite au
musée. Et après tout ça, après le romantisme et les étreintes
d'adolescent, j’eus de nouveau le droit à sa théorie de l'hymen
reconstruit. D'après Gertrude, en cessant de coucher pendant quelques semaines
pendant plusieurs mois, votre vagin se désintègre et, luttant contre la
moisissure, il forme un hymen factice, une sorte de barrière à la
poussière.
C'était
un matin d'été, 27 mois d'abstinence à son actif. Après plus de deux
ans de chasteté, de privation, de censure involontaire, elle avait
ressenti, dans le bas du ventre, des contractions et des brûlures. Elle
s'était empressée d'appeler son gourou, Monsieur Cherst, un soi disant
médecin, plus magicien que scientifique. A chaque rhume d'hiver, il ne
lui prescrivait que des plantes et lui disait que tout était dans la
tête. "Le mal créé le mal, pensez juste et votre corps fera le reste"
lui avait-il dis. Depuis, elle invoquait des dieux fictifs à chaque
douleur et leur ordonnait de la libérer du mal. Une cinglée cette
Gertrude.
Et c'est ce qu'elle avait fait lorsqu'elle pensa que son
hymen se reconstruisait. Monsieur Cherst lui avait dit qu'une
méditation lui ferait du bien et qu'elle devait "réfléchir sur elle même".
Comme une évidence, elle avait allumé des bougies dans tout son salon,
avait mis un fond de musique et avait conjuré le mauvais sort.
Totalement nue, Gertrude avait dansé pendant des heures, mamelons au
vent et forêt vierge à l'air, marmonnant des paroles prophètes et, de
toute son âme spirituel, avait tenté de trouver la source de ce conflit
interne. Et sans explication aucune, sans une once de rationalité, elle
s'était vue courir dans un long tunnel sombre, affolée, sans but et
recouverte de boue. Elle courrait, courrait, et lorsque enfin elle en
sortit, elle avait ressenti une chaleur l'enrôler, une luminosité
l'embaumer et la pureté la nettoyer. Elle se retourna, et, devant
l'entrée du tunnel, un drap de soie vint se déposer, empêchant l'accès à
l'obscurité.
Nul besoin de vous expliquer la métaphore : Gertrude
s'était persuadée que le tunnel était son vagin et le drap de soie son
hymen. Bout de tissu que son nouveau prétendant avait visiblement
arraché hier dans la nuit, bout de tissu qu'elle avait enfin osé
détruire. Et j'avais le droit aux détails croustillants, à la manière
dont elle avait vu le train entrer dans le tunnel, arrachant le drap et
laissant entrer la lumière. "La gare reprend du service"
m'avait-elle dit, les pattes écartées devant Colin, le petit stagiaire,
enregistrant la moindre de ses paroles. Gertrude rayonnait de joie, de
bonheur et me faisait envie. Je reprenais mon clavier et mon
inspiration, et comme une évidence, je notai les premiers mots de
l'article du jours : " Parfois, chers cul-tivés, il faut savoir abandonner votre hymen de soie."