Mon congé maternité touche à sa fin. Et ce matin, pour toutes les deux, c'est la grande rentrée : moi au travail et elle à la crèche. Et autant vous dire que ce n'est pas gagné.
Je me suis vêtue de noir, j'ai fait le plein de mouchoirs, et j'ai regardé ma fille, le sourire et la bave aux lèvres (elle, pas moi), j'ai eu envie de la remettre dans mon ventre, quelques heures. Et puis j'ai repensé à mon épisiotomie, et je me suis dit que non, en fait. A la place, je l'ai prise dans mes bras et je l'ai trouvée toute petite. Beaucoup trop petite, en tout cas, pour passer une journée loin de moi.
J'ai bouclé son petit cartable, presque plus grand qu'elle, et j'ai entamé l'ascension vers la crèche, en haut de la rue, l'air de "La marche funèbre" de Chopin dans la tête, légère et enjouée comme une vache sur le chemin de l'abattoir.
Pour la rassurer, je lui ai parlé : "Tu vas voir ma chérie ça va être super, d'ailleurs maman n'est pas du tout désespérée de t'y laisser, ça ne va pas du tout être le pire jour de sa vie, et le tien non plus, puisque tu ne vas pas du tout avoir l'impression, en la voyant partir, qu'elle ne reviendra jamais".
Sur place, j'ai envié ce porte-manteau, ce tapis de jeu, qui la verraient jouer, sourire, grandir, changer...
J'ai voulu être l'un d'eux, ou la dame de la crèche, parce que c'est plus mobile.
Je leur ai donné ma fille, une partie de mon insouciance, des biberons pour la journée, et un tee-shirt avec mon odeur, comme elles m'avaient demandé.
J'ai pris celui de mon footing pour être sure qu'elle me sente. Et qu'on ne me le piquera pas.
"Ne pleure pas, mon bébé tout va bien se passer, allons, ne pleure pas, ne pleure pas. Bon, c'est bon c'est pas la peine de te marrer non plus. Pleure. Allez, une seconde. Juste pour me faire croire que je vais te manquer."
Elle n'a pas pleuré.
Moi, si, en redescendant l'escalier.
J'ai hésité à allumer une bougie devant sa photo, et à la place, je me suis noyée dans le travail. J'ai redécouvert comment envoyer un mail, et comme c'était agréable de parler un autre langage que le "Areuh", avec des gens sur leurs deux pieds.
Je m'en suis un peu voulue pour ça, alors j'ai appelé à la crèche pour savoir si tout allait bien, en bonne mère exemplaire, et donc forcément inquiète.
A mon retour, je l'ai imaginée me sauter dans les bras.
Que nenni, elle était trop occupée à sourire.
A Denise, à Catherine, à Karine et aux autres, mais surtout pas à moi.
En rentrant, on a eu une vraie discussion et j'ai dû mettre les points sur les "i".
C'est vrai quoi. C'est Denise qui s'est pris une aiguille de 10 cm dans le dos ? C'est Catherine qui s'est bousillé le périnée ? C'est Karine qui a perdu 2 tailles de soutien-gorge en te nourrissant ?
Elle m'a répondu par un sourire à pleines dents, même si elle n'en a pas une seule.
Et celui-là, je l'ai reconnu : c'était celui d'une fille à sa maman. Et c'était ça le plus important.