Croyez-le ou non, un jour, j'ai interviewé Desproges. C'était deux ans avant sa mort, et j'avais tout juste vingt ans. (Faites le compte.....)
J'étais stagiaire dans un grand quotidien, et à peine arrivée depuis quinze jours, on me propose d'interviewer le bonhomme.
Un peu surprise qu'on donne la star à une débutante, j'aurai dû me douter d'un truc...
J'arrive au Musée Grévin, où il allait donner l'un de ses ultimes spectacles: le cancer le rongeait déjà, et je ne le savais pas. Son humour était devenu très cynique. Pour le coup, j'avais réécrit le questionnaire de Proust pour lui, avec des questions du genre : "Le mot que vous préférez dans la langue française" (il m'avait répondu, je me souviens: lapis-lazzuli), "le mot qui vous fait rire" (réponse : le cancer) etc.
Lui, ça ne l'a pas fait rire, ma petite préparation individualisée.
Il m'a regardé en coin, la mine désabusée et m'a dit, un chouia méprisant : " Vous savez que je fais ça tous les jours au Tribunal des flagrants délires "? Je lui réponds que c'est justement pour ça que je le lui faisais faire.
Bof, ça l'a pas convaincu. Il répondait un peu sèchement, distant. Au bout d'un moment (beaucoup trop long d'ailleurs, avis aux journalistes débutantes, il faut savoir arrêter une interview quand un artiste commence à tourner en rond), je suis partie et il me dit , à la porte de sa loge: " Vous savez que je connais très bien le patron de votre journal? " J'étais minée.
C'était sûr, il allait faire le vilain rapporteur, et dire plein de mal de la débutante au fameux patron. Dans le métro, j'en ai pleuré de rage.
Mais arrivée au journal, je me suis vengée et ai écrit dans mon article, que l'homme était bougon et peu accueillant.
En me disant qu'à ma place, il aurait fait pareil... Et vous savez quoi? Ca a payé. Mon papier a plu....